La Bascule
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La Bascule rappelle ce qu’est la peine de mort et raconte comment son abolition ne s’est imposée à la France qu’en 1981, bien après la plupart des pays européens. Le spectacle se concentre sur le procès et l’exécution de Bontems et de Buffet en 1972-1973, et sur le travail de Robert Badinter. Les rôles sont interprétés par deux acteurs et par des sculptures textiles peintes.
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Distribution :
Jeu : Benoît Hamelin et Maximilien Neujahr
Texte : Jean-Baptiste Evette
Mise en scène : Christophe Evette
Accompagnement artistique : Nicolas Gousseff
Sculptures textiles : Fleur Marie Fuentes
Construction et menuiserie : Maurizio Moretti
Illustrations : Meescat
Accessoires : Amora Doris, Matisse Wessels, Jean Martin et Mandarine Jacquet-Gregg
La création de la Bascule a été soutenue par le festival Parade(s) de Nanterre, le théâtre de la Commune d’Aubervilliers, la SPEDIDAM, Frères Poussière et la Villa Mais d’Ici.
Nous tenons à remercier l’association Ensemble Contre la Peine de Mort pour ses conseils et documents.
INTRODUCTION : L’ENJEU
À l’heure où elles font l’objet de discussions et de contestations, nous avons décidé d’évoquer sous une forme théâtrale et plastique les grandes avancées sociales du xxe siècle.
Nous voulons raconter quatre épisodes de ces luttes qui ont changé notre vie : les conquêtes ouvrières et syndicales, l’abolition de la peine de mort, la santé pour tous et les droits des femmes. Puisque ces combats sont relativement récents, certains de leurs protagonistes, grandes figures ou surtout simples individus engagés, sont encore vivants, et nous nourrissons notre travail de rencontres et d’entretiens.
Ce projet baptisé En-Jeu s’est déjà concrétisé en 2012 à travers une première création, La Ligne jaune, dans lequel une actrice raconte avec des santons en terre cuite les luttes dans l’usine Renault de Cléon, en Normandie. Le texte est né d’une série d’entretiens avec les retraités de l’usine, mais aussi avec des syndicalistes d’aujourd’hui. La Ligne jaune a été jouée plus de 50 fois, parfois dans des lieux symboliques, comme le familistère de Guise ou l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois.
En-Jeu veut lutter contre le découragement et la passivité ambiants en faisant participer les spectateurs aux souvenirs des luttes passées, et en racontant le xxe siècle aux enfants du xxie.
L’ABOLITION DE LA PEINE DE MORT
La Bascule rappelle dans quelles conditions, au prix de quelles luttes, l’abolition de la peine de mort s’est finalement imposée à̀ la République française en 1981, avec un retard notoire sur la plupart des autres pays européens : même l’Espagne, à peine sortie du franquisme, avait supprimé la peine capitale…
Il est y question de la prison et du fonctionnement de la justice, du droit de grâce présidentiel. Le spectacle présente de manière circonstanciée, les forces en présence, et il centre la réflexion sur procès et de l’exécution de Claude Buffet et de Gérard Bontems en 1972. Comme celui de La Ligne jaune, le récit mêle des destins individuels et des grands moments historiques collectifs. Enfin, le spectacle se clôt sur une évocation de l’état mondial du débat sur la peine capitale.
Pour évoquer cette histoire, La Bascule recourt aux éléments ludiques et populaires que sont les poupées de chiffon, situées à mi-chemin entre l’art et l’artisanat. Le jouet en effet, du train électrique à la poupée, est déjà une sculpture, et par définition sert de support à l’invention, à la narration et au dialogue. Sur ce principe, l’acteur de La Bascule raconte des histoires en manipulant des poupées, en invitant les spectateurs à̀ jouer aussi, afin de rétablir un lien avec l’enfance, comme les grandes marionnettes le faisaient déjà, puisqu’ici aussi, il est question de mythes fondateurs et de mémoire. Tous les « jouets » sont de créations plastiques originales.
RACONTER LES LUTTES DU SIÈCLE PASSÉ DANS L’ESPACE PUBLIC
Pourquoi jouer aujourd’hui dans l’espace public un spectacle sur la peine de mort ? Alors que l’abolition est inscrite dans la constitution française, que nous sommes liés par des traités européens qui la proscrivent en toutes circonstances, un parti politique qui a deux élus au parlement continue à réclamer son rétablissement. Par ailleurs, l’espace virtuel de l’Internet est une plateforme où s’expriment des désirs de vengeance régressifs et mortifères. La page Facebook qui réclame la peine de mort pour la mère et le beau-père d’une petite fille assassinée près de Clermont-Ferrand a été « aimée » par 53 000 personnes, tandis que celle qui soutient un bijoutier niçois qui a tué un de ses agresseurs au moment où ce dernier s’enfuyait par 1 600 000. En face de ce déchaînement anonyme et virtuel, il nous est apparu utile et nécessaire de raconter de manière concrète, avec des objets simples, du bois, du tissu, un couperet, dans l’espace réel et commun de la rue, ce qu’était réellement une condamnation à la peine capitale. À visage découvert, un acteur raconte et explique à un public réellement présent les personnages, les faits incriminés, le procès, la condamnation d’un coupable, son exécution, puis enfin l’abolition.
Le spectacle rappelle ausi, au delà de la situation française, qu’en 2013, selon le dernier rapport d’Amnesty International, 28 pays ont encore exécuté des condamnés à mort.
LE DISPOSITIF SCÉNIQUE
L’acteur incarne plusieurs personnages, même s’il est dans la plus grande partie du texte un paysan vosgien, père du condamné à mort Roger Bontems, mais il explique aussi les règles du jeu, déplace, actionne et manipule des figurines, plus précisément des poupées, sur trois éléments en bois modulables. Ces « meubles » fabriqués en chêne, comme les « bois de justice » (les éléments de la guillotine) se transforment pour épouser l’action dramatique, construisant tour à tour une automobile, une prison, une salle de tribunal, un échafaud ou la tribune de l’Assemblée nationale. Ils permettent à l’acteur d’y monter et de prendre de la hauteur. Les spectateurs sont installés en rond, au plus près du spectacle, une disposition qui évoque selon les cas le public du procès d’assise, les jurés ou tout simplement l’opinion publique, alternativement ardente consommatrice de faits-divers et attentive au drame humain. Des objets passeront parmi les spectateurs et susciteront des interactions réelles. Au cours d’une dernière métamorphose, les éléments deviendront support d’exposition pour conclure le spectacle sur le bilan mondial de la lutte pour l’abolition.
CE QUI SE JOUE AUTOUR DE LA BASCULE
Le spectacle raconte sous une forme vivante et ludique les événements sociaux et judiciaires qui ont conduit la République à renoncer à la peine capitale. Pour évoquer l’histoire de l’abolition la peine de mort en France, nous avons assez rapidement retenu l’affaire Buffet-Bontems. Certes, l’ancien ministre de la Justice Robert Badinter, qui fut l’avocat de Roger Bontems, en a fait le pivot de sa lutte pour l’abolition, à travers son livre L’Exécution, et il est tout naturel de se pencher sur ces événements. Mais dans ce drame humain et judiciaire se nouent plusieurs autres questions cruciales.
Buffet est un ancien combattant de l’Indochine et Bontems de l’Algérie, comme beaucoup des grands délinquants de l’époque, et leur retour raté à la vie civile explique pour partie leur inadaptation à la société française du temps. Les faits, la tentative d’évasion avec prise d’otage qui aboutit à l’assassinat du gardien Guy Girardot et de l’infirmière Nicole Comte, se déroulent dans la centrale de Clairvaux, qui est un lieu symbolique à bien des égards.
Ancienne abbaye, cette prison mêle curieusement, en 1971, des conditions de détention très rigoureuses et un certain laisser-aller. C’est aussi le principal employeur des environs, au point que la veuve du gardien assassiné ira y travailler dans les bureaux… Au moment du procès, les avocats des accusés souligneront le nombre très élevé de suicides ou d’automutilations chez les prisonniers. De plus, c’est là qu’était en prison le véritable Claude Gueux, l’homme dont le destin a inspiré à Victor Hugo un de ses textes sur la peine de mort. Or on ne peut évoquer le mouvement vers l’abolition sans rappeler certaines de ses grandes étapes.
Les deux individus offrent un contraste saisissant : Bontems affirme qu’il n’a pas participé aux meurtres. Buffet, sorte de nietzschéen autodidacte, grand lecteur de la Bible par ailleurs, réclame pour lui-même peine de mort. Mieux, il voudrait être allongé sur le dos dans la guillotine, pour avoir le loisir de voir le couperet descendre. Il fascina Thierry Lévy son avocat, au point que ce dernier publia après la mort de Buffet une partie des journaux de son client dans L’Animal judiciaire.
Enfin, les institutions judiciaires ont dû travailler sous des pressions multiples, celle des gardiens de prison et de leurs syndicats, CGT et FO, légitimement indignés par l’assassinat d’un des leurs ; celle de l’opinion publique, partagée entre la fascination morbide que suscitent les faits-divers sanglants et la réprobation pour un crime affreux ; celle de la presse qui rend compte des faits, mais qui, pour partie, se livre à une violente campagne contre ceux qu’elle appelle « les égorgeurs ». Ainsi, alors que l’opinion publique paraissait jusque-là majoritairement favorable à̀ l’abolition, un sondage publié juste avant que les avocats ne déposent leur demande de grâce auprès du président Georges Pompidou révèle un véritable retournement : la population française soutient désormais la peine capitale. On sait que le président Pompidou, hostile par principe à la peine de mort, refusera pourtant la grâce de Buffet et Bontems.
LES POUPÉES
Les rôles sont tenus à la fois par l’acteur, qui incarne le père de Roger Bomtems et d’autres personnages, mais aussi par des poupées et des accessoires qui entrent un à un dans le spectacle. Leur simple apparition, leur présentation constituent déjà̀ autant de petits événements théâtraux et plastiques. Pour La Bascule, Fleur-Marie Fuentes et Christophe Evette ont imaginé des poupées de chiffons intégrant un squelette métallique qui permet de conserver des attitudes et de positions. Leur caractéristique essentielle, cependant, c’est de confronter une rondeur et une simplicité enfantines, et des visages peints très précis, inspirés par la crudité des clichés de l’identité judiciaire ou par le réalisme saisissant des portraits funéraires égyptiens du Fayoum.
Ce contraste veut évoquer les oppositions qui sous-tendent le drame : la tension entre humanité et cruauté, qui n’est pas seulement à l’œuvre dans le crime, mais aussi dans le châtiment. Choisir des poupées de chiffon pour interpréter ce moment important de l’histoire judiciaire et sociale, le combat pour l’abolition, n’est pas seulement une provocation. Les poupées rappellent qu’un assassin a un jour été un enfant, en même temps qu’elles évoquent les peurs et les fantasmes qui nous travaillent profondément face au crime et à la justice. Elles redisent l’intense besoin de tendresse et de contact physique de l’enfant ou de l’adulte isolé. Elles illustrent comment l’individu emprisonné ou entraîné dans la machine judiciaire perd ses libertés les plus élémentaires et se trouve réduit à̀ l’état de marionnette. Enfin, elles sauront être des corps sans vie, victimes ou coupables exécutés, inertes comme « des poupées de chiffon ».
Nous sommes conscients que le rapprochement de la poupée et de la guillotine a quelque chose de sinistre, mais, même si nous ne souhaitons pas imiter le répertoire du théâtre du Grand Guignol, le récit d’un crime, d’une exécution, a forcément un lien avec l’effroi.
LES PORTRAITS DU FAYOUM
Les portraits du Fayoum, d’après la région d’Égypte où le plus grand nombre d’entre eux a été découvert à la fin du XIXe siècle frappèrent tant par leur réalisme et leur modernité qu’on cria à la supercherie, avant de se rendre compte qu’ils avaient effectivement été peints dans une Égypte romanisée entre le Ier et le IVe siècles. On en connaît aujourd’hui près d’un millier. Disposés dans les sarcophages au niveau de la tête de la momie, ils représentaient le visage serein du défunt, les yeux ouverts, peint avec des pigments mêlés à de la cire liquide (encaustique) ou à un autre liant (tempera) sur du bois. Les recherches archéologiques ont montré que ces portraits étaient réalisés du vivant des modèles, souvent longtemps avant leur mort, puis découpés pour s’adapter au sarcophage. Leur réalisme étrange, leur figuration si frappante et si familière les visages de gens décédés, le fait enfin qu’ils aient été coupés, se sont imposés à nous pour La Bascule.
LES PHOTOGRAPHIES DE L’IDENTITÉ JUDICIAIRE
La police s’est dotée dès 1874 d’un service photographique pour identifier les récidivistes, une tâche que l’abolition du marquage au fer rouge en 1832 avait rendue plus difficile. Pourtant l’idée d’uniformiser les photographies, d’imposer une distance de pause, un cadrage, une échelle, de réunir cliché de face et de profil ne s’imposa qu’avec Alphonse Bertillon, également inventeur de l’anthropométrie, lors de la création du service de l’identité judiciaire en 1888. On y avait mis au point une chaise spéciale dotée d’un cale tête qui permettait de fixer la pause des suspects. Ces « photographies signalétiques » en noir et blanc, souvent saisissantes dans leur volonté d’objectivité scientifique, ont constitué également une source d’inspiration importante pour les plasticiens qui travaillent sur le projet.
1960-2013
En juin 1960, Roger Bontems, revenu depuis peu d’Algérie où il a servi dans les parachutistes, vole une voiture parce qu’il a raté le dernier bus pour rentrer chez lui ; c’est le début d’une série de délits qui le conduiront en prison. Il se trouve enfin enfermé à̀ la centrale de Clairvaux où les conditions de détention sont rigoureuses, même si les prisonniers circulent assez librement. Là, il rencontre Claude Buffet, ancien légionnaire, condamné à perpétuité pour un meurtre associé à un vol. Ensemble, ils mettent au point un plan d’évasion. Armés d’un poignard artisanal et d’un opinel, les deux détenus investissent l’infirmerie en septembre 1971, s’y barricadent et prennent deux otages, l’infirmière remplaçante Nicole Comte et le gardien Guy Girardot, deux personnalités très appréciées. Buffet a préparé des lettres qu’il lit aux autorités : les mutins réclament des armes et une voiture. Les autorités tergiversent, attendent des directives qui tardent. Enfin, la gendarmerie, accompagnée par des gardiens, donne l’assaut. Quand les forces de l’ordre sont enfin maîtresses du terrain, les deux otages sont morts égorgés. Les gendarmes doivent protéger les deux criminels que les gardiens voudraient lyncher.
Le procès a lieu à Troyes en juin 1972 ; autour de la salle du tribunal on crie « À mort Buffet, à mort Bontems ». Malgré les efforts des avocats, dont Thierry Lévy et Robert Badinter, les deux hommes sont condamnés à mort, même si le jury estime que Bontems n’est pas directement coupable d’assassinat. Le déroulement du procès est marqué par deux incidents provoqués par Badinter, il évoque un rapport médico-légal caduc, qui innocentait Bontems et le force à jurer qu’il n’a pas commis de meurtre, ce qui est interdit. À̀ la lecture du verdict, des applaudissements retentissent : le juge se scandalise. Exposé à la pression du syndicat des gardiens et à une campagne de presse virulente, Pompidou, malgré ses convictions, refuse sa grâce. Les deux hommes seront guillotinés à Paris. Plusieurs journaux qui, bravant l’interdiction, avaient relaté l’exécution furent condamnés.
Pendant la campagne électorale de 1981, François Mitterrand, l’ancien ministre de la Justice qui a contresigné plus de quarante condamnations à mort pendant la guerre d’Algérie, annonce qu’il abolira la peine capitale s’il devient président de la République. Quand il est élu, c’est le nouveau ministre de la Justice, Robert Badinter, qui défend le projet de loi devant l’Assemblée. Pour expliquer que la peine de mort n’est jamais dissuasive, il rappelle que l’assassin Patrick Henry, qu’il a également défendu, se trouvait dans le public du procès Buffet- Bontems et qu’il criait « À mort » avec les autres. Le projet de loi est adopté le 18 septembre 1981, par 363 voix contre 117. Cependant, dans le monde, en 2013, 28 pays ont exécuté des condamnés à mort.
L’ÉCRITURE
Comme celle des spectacles À la corde et La Ligne jaune, l’écriture est le fruit d’une collaboration entre deux frères, Christophe Evette plasticien à qui revient l’idée du dispositif, et Jean-Baptiste Evette, auteur, qui a déjà travaillé sur les faits divers et le théâtre de rue. Au fil de leurs collaborations, ils prolongent des inventions ludiques commencées au cours de leur enfance.
Porté par un acteur unique, le texte est un monologue, mais on y entend parfois d’autres voix qui se mêlent à celles du personnage principal, le père de Roger Bontems, à qui il donne la parole.
À̀ des moments clés, le texte provoque la participation des spectateurs, pour que le moment collectif du spectacle fasse écho aux moments collectifs du drame, décision du jury, mouvements de l’opinion publique, etc.
Un film sur le spectacle réalisé par les élèves du lycée Suger à Saint-Denis.
LE CADRE GÉNÉRAL : EN-JEU
La Bascule, comme le spectacle antérieur La Ligne jaune, s’inscrit dans un ensemble plus vaste de réflexions sur les conquêtes essentielles du xixe siècle que nous avons baptisé En-jeu. Ainsi, selon les possibilités, on pourra jouer un, deux, voire même trois ou quatre spectacles simultanément. Dans la configuration maximale, quatre spectacles se dérouleraient en même temps sur quatre espaces et déclineraient quatre thèmes différents, représentés avec des jouets-sculptures variés. Ainsi, au lieu de concentrer l’attention des spectateurs vers un seul lieu, une scène ou un écran, En-jeu organiserait plusieurs pôles où ils seront invités à regarder et à participer à̀ un spectacle sur lequel il faut baisser les yeux. Selon le lieu où il se produira En-jeu prendra des allures d’allée de marché, de foire ou bien de salon de jeu. En-jeu s’organisera selon quatre actes qui seront joués sur quatre tables suffisamment écartées les unes des autres pour qu’on puisse y parler sans se déranger. Chacun de ces actes d’une durée de quarante minutes environ sera interprété par un acteur qui utilise des accessoires sculptés conçus pour voyager facilement dans deux valises.